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22/12/2025
Un matelot est recruté à la pêche artisanale, le 15 août 2015, afin de remplacer un autre marin absent ; il s’agit donc d’un contrat à durée déterminée de remplacement, conclu pour une durée minimale, mais pouvant se poursuivre jusqu’au retour au travail du marin remplacé ou jusqu’à la fin de son activité professionnelle, par exemple par démission. Ce matelot est victime d’un accident du travail le 23 septembre 2015 ; son travail est donc suspendu ; il est ensuite déclaré inapte à la navigation le 11 mars 2019. Il considère que son CDD est devenu un contrat d’engagement à durée déterminée (CDI), que son employeur n’a pas cherché à le reclasser, ne lui a pas signifié son licenciement ; il prend acte de la rupture de son contrat aux torts de l’employeur et réclament les indemnités de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans l’intervalle, le marin remplacé a cessé son activité le 25 juillet 2017. L’employeur considère donc que le CDD de remplacement a pris fin à cette date. Mais ce n’est que le 25 janvier 2020 qu’il remet au marin remplaçant les documents relatifs à la fin de son contrat, alors que celui-ci saisit le tribunal judiciaire en vue de la requalification de son contrat de CDD en CDI.
Le 21 février 2024, la cour d’appel de Rennes valide cette demande de requalification du contrat, considère que la prise d’acte de la rupture du contrat par le salarié a l’effet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et condamne l’employeur à payer au marin certaines sommes à titre de rappel de salaire pour la période postérieure à l'avis d'inaptitude, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité compensatrice de congés payés et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le pourvoi en cassation de l’employeur est rejeté, le 13 novembre 2025, par la chambre sociale de la Cour de cassation.
Il convient d’expliquer cette solution et l’enchaînement des règles.
Le contrat de travail à durée déterminée (CDD) peut ne pas comporter de terme précis, lorsqu'il est conclu pour le remplacement d'un salarié absent. Le contrat de travail à durée déterminée est alors conclu pour une durée minimale. Il a pour terme la fin de l'absence de la personne remplacée ou la réalisation de l'objet pour lequel il a été conclu (art. L. 1242-7 C. travail). Dans ce cas, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de l'événement constitutif du terme et de sa date, car le contrat de travail à durée déterminée (CDD) cesse de plein droit à l'échéance du terme (art. L. 5542-45 C. transp. et L. 1243-5 C. trav.). Le marin remplaçant a subi un accident du travail et s’est retrouvé en arrêt-maladie : les périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle ne font pas obstacle à l'échéance du CDD (art. L. 1226-19 C. trav.). Lorsque la relation contractuelle de travail se poursuit après l'échéance du terme du CDD, celui-ci devient un contrat à durée indéterminée (art. L. 1243-11 C. trav.).
Mais en l’espèce, qu’en est-il de cette échéance du CDD de remplacement ?
Le marin a été recruté pour remplacer un autre marin pendant l'absence de celui-ci ; ce matelot remplacé, a été déclaré inapte le 29 juin 2017 et il semble que l’employeur l’ait licencié valablement de ce fait, le 25 juillet 2017. A cette date, l’employeur pouvait constater l’échéance du terme du CDD du marin remplaçant et la lui notifier, d’autant plus que celui-ci était en arrêt-maladie en raison d’un accident du travail. Les périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ne font pas obstacle à l'échéance du CDD, lorsque le terme est non défini (art. L. 1226-19 C. trav.). Mais cette échéance n’est pas automatique ; le remplaçant doit être informé de la cessation d'activité définitive du salarié remplacé.
Pendant plus de deux ans, l'employeur n'a pas notifié la cessation d'activité du salarié remplacé, au salarié remplaçant, dont le contrat de travail était suspendu pour accident du travail. Il ne lui a remis les documents de fin de contrat que le 25 janvier 2020.
La conclusion est inéluctable : il s’agit de la requalification du CDD en CDI.
« L'employeur a maintenu le salarié dans les liens d'un contrat de travail qui s'était poursuivi après la cessation du CDD et en a exactement déduit que cette relation s'analysait en un CDI. »
L’employeur n’a pas recherché à reclasser à terre le marin déclaré inapte à la navigation, n’a pas justifié de l’impossibilité d’un tel reclassement, ce qui est très vraisemblable à la pêche artisanale, n'a pas repris le paiement des salaires un mois après l'avis d'inaptitude du marin à la navigation, ce que prévoit l'article L. 1226-11 du code du travail ; son inertie a persisté pendant six mois, sans mise en œuvre d'une rupture du contrat. Dès lors, la prise d'acte de la rupture du contrat par le mari a produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A juste titre la cour d’appel a accordé au marin une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés liés, une indemnité de licenciement, et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
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