Contrat de travail maritime international : le long litige du capitaine du Kir Royal.
08/12/2025
Le Motor/yacht Le Kir Royal bat le pavillon des Seychelles. Il a besoin de fortes réparations ; un capitaine est recruté pour le conduire de Gênes au chantier naval situé en France, suivre les travaux de réparation qui vont durer une bonne année. Son contrat est censé être signé aux Seychelles à Mahé, alors qu'il réside en France ; il est soumis à la loi seychelloise, d'origine anglaise, et doit prendre en charge sa protection sociale.
Le suivi de travaux dans un chantier naval situé en France, concernant des navires battant pavillon étranger, soulève des difficultés assez régulières quant aux conséquences sur les contrat d'engagement maritime, de dimension internationale, des membres d'équipage (CA Aix-en-Provence, ch. 4-6, 29 septembre 2023, navire Ngoni, n° 2003/244, Droit Maritime Français 2023, n° 862, pp. 908-920, obs. P. Chaumette, "Travaux dans un chantier naval français et contrat d'engagement international") Dans cet arrêt la cour d'appel d'Aix avait considéré que : La relation de travail, qui a commencé le 4 mai 2018 pour s’achever le 25 mai 2019, a duré 386 jours. Pendant cette période, le navire a été pris en charge par le chantier IMS à Saint-Mandrier du 15 octobre 2018 au 20 mai 2019, soit pendant 217 jours. Il est ainsi établi que la majeure partie du temps de travail de M. Fauquenoy a été effectuée en France. Le contrat de travail prévoyait la compétence de la juridiction de Guernesey, Etat du pavillon du navire ; compte tenu de la durée du travail effectuée en France, la compétence du Conseil de prud'hommes a été retenue.
Concernant le Kir Royal, le capitaine, recruté le 19 mars 2016, a pris acte de la rupture de son contrat de travail, le 12 mai 2017, reprochant à son employeur, un travail dissimulé, faute de l'avoir affilier à l'ENIM, faute d'une déclaration préalable d'embauche. Il a saisi le Conseil de prud'hommes de Cannes qui a reconnu sa compétence, le 8 octobre 2019, et a déclaré le droit français applicable.
La cour d'appel d'Aix-en-Provence, le 23 janvier 2023, a infirmé ce jugement : Durant l'exécution du contrat de travail, le navire a été affecté dans un chantier de réparation situé dans les eaux françaises. Pour autant, cette circonstance ne permet pas d'établir que la société, qui n'est pas domiciliée en France, posséderait une succursale, une agence ou tout autre établissement en France et qu'elle serait donc considérée, pour la résolution du présent litige, comme ayant son domicile en France. Le litige ne relève donc pas de la compétence du conseil de prud'hommes de Cannes, mais de celle du tribunal du travail de Mahé.
v. CA Aix-en-Provence, ch. 4-4, 23 janvier 2023, n° 19/160128, Yacht le Kir Royal, DMF 2023, n° 861, pp. 790-798, obs. P. Chaumette, "L'impact de travaux dans un chantier naval français sur le contrat d'engagement international".
La cour d'appel d'Aix a évité de s'interroger sur le lieu habituel de travail du capitaine, mais a considéré que la société seychelloise n'avait en France aucune agence, aucune succursale ou tout autre établissement dans l'Union européenne.
Le 12 juin 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé cet arrêt de la cour d'appel d'Aix. La Cour de cassation réfère à l'article 21 du Règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commercial ; elle reproche à la cour d'appel de ne pas avoir rechercher le lieu habituel de travail du salarié, ou son dernier lieu habituel de travail, lieu où il s'est acquitté de ses obligations envers son employeur (Cass. soc. 12 juin 2024, n° 23-12913, navire Le Kir Royal). Le litige a été renvoyé vers la même cour d'appel d'Aix, autrement composée.
Ainsi donc, le 5 juin 2025, la cour d'appel a de nouveau statué sur cette affaire : elle constate que le capitaine est resté à la disposition de l'employeur pendant toute la durée des travaux au sein du chantier naval du 2 mai 2016 au 29 mai 2017, alors que le capitaine avait été embauché le 15 avril. Il n'existe aucun lien sérieux de rattachement du travail effectué avec les Seychelles. Le Conseil de Prud'Hommes de Cannes était bien compétent. Le règlement n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008, dit 'Rome I', concernant la loi applicable aux contrats soumet le contrat à la loi choisie par les contractants, dite loi d'autonomie contractuelle, mais concernant le contrat de travail, cette loi ne peut priver le salarié de la protection de la loi du pays dans lequel il accomplit habituellement son travail. Il n'est pas démontré que le contrat de travail est relié de façon plus étroite aux Seychelles qu’à la France, lieu de l’accomplissement habituel du travail du salarié. En matière de licenciement, le droit français est plus favorable que la loi anglaise, dont s'inspire la loi seychelloise. En l'absence d'une affiliation à l'ENIM, alors que le marin travaille en France, le travail dissimulé est reconnu, puisque le contrat imposait au marin de s'organiser une protection sociale. Par contre, en l'absence d'élément intentionnel de fraude, le travail dissimulé n'est pas reconnu pour l'absence de déclaration préalable à l'embauche ou pour l'absence de bulletins de salaire. La prise d'acte de la rupture de son contrat par le capitaine intervient en rasion des fautes de son employeur ; cette rupture est donc traitée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse : indemnité compensatrice de préavis, indemnité de licenciement et dommages et intérêts sont dus au marin (CA Aix-en-Provence, ch. 4-5, 5 juin 2025, n°24/10806, navire Le Kir Royal, DMF 2025, n° 885, obs. F. Jault, "Lieu de travail d'un marin en cas d'immobilisation du navire dans des chantiers navals).
Un long feuilleton, qui évite de prendre pour argent comptant les constructions juridiques rattachant un siège social de société, l'immatriculation d'un navire, à des législations légères et lointaines, qui privilégie finalement l'examen de la réalité des relations de travail.