Commission tripartite spéciale, 7-11 avril 2025, nouveaux amendements à la Convention du travail maritime (MLC, 2006).
20/04/2025
La cinquième réunion de la Commission tripartite spéciale sur la convention du travail maritime est intervenue du 7 au 11 avril 2025, à Genève, au siège de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) et a conduit à l'adoption d'amendements à la convention de 2006 ; il reste à la Conférence Internationale du Travail à les valider pour une entrée en vigueur probablement en 2027.
Les procédures d’amendement de la MLC, 2006.
L’influence de l’OMI ne s’est pas limitée à la structure de la MLC, 2006, ou aux mécanismes de contrôle. L’OIT s’est également inspirée des conventions de l’OMI pour les procédures d’amendement qu’elles prévoient. Deux types de procédures d’amendement ont été introduits dans la MLC, 2006. Une procédure applicable à l’ensemble de la convention (art. XIV) et une procédure spécifique au seul Code (art. XV). La première, similaire à la révision d’une convention internationale du travail, se traduit par l’adoption du projet d’amendement par la Conférence internationale du travail dans les conditions ordinaires prévues à l’article 19 de la Constitution de l’OIT. Pour prendre pleinement effet, la ratification par les Etats membres est nécessaire. Cette procédure n’a, en pratique, jamais été employée.
Le Code constitue la partie de la convention qui est susceptible de nécessiter une réactualisation périodique, en ce qu’il détaille la mise en œuvre des obligations fondamentales de la convention. Il peut être amendé suivant une procédure accélérée (« acceptation tacite ») prévue à l’article XV. L’initiative est ouverte aux mandants de l’Organisation, qui peuvent soumettre une proposition d’amendement au Directeur général du BIT, sous réserve qu’elle soit appuyée par cinq gouvernements représentant des Etats ayant ratifié la MLC, 2006 ou par le groupe des représentants des gens de mer ou des armateurs nommés à la Commission tripartite spéciale (STC). L’amendement fait alors l’objet d’une consultation auprès des membres de l’Organisation puis est transmis pour examen à la STC, laquelle adopte l’amendement à la majorité qualifiée. Les amendements adoptés sont ensuite présentés à la session suivante de la Conférence internationale du travail (CIT) pour approbation à la majorité des deux tiers.
Les Etats qui ont ratifié la MLC, 2006 disposent d’un droit collectif d’opposition, si 40% d’entre eux représentant 40% de la jauge brute de la flotte marchande mondiale s’expriment en ce sens. Individuellement, ils peuvent réserver leur acceptation ou refuser pour une période déterminée de l’appliquer. Les Etats disposent d’un délai de deux ans, passé l’approbation par la CIT, pour prendre position. L’Etat qui ratifie la MLC, 2006 pendant la période de deux ans doit adresser une déclaration formelle pour être lié aux amendements concernés. L’entrée en vigueur de l’amendement intervient six mois après l’échéance du délai de deux ans. Une fois qu'un amendement est entré en vigueur, la convention ne peut être ratifiée que sous sa forme modifiée. Suivant cette procédure, entre la proposition et l’entrée en vigueur d’un amendement, un délai de trois ou quatre ans est nécessaire. C’est cette seconde procédure qui a été utilisée à quatre reprises depuis 2014.
La possibilité donner aux Etats qui ont ratifié la MLC, 2006 de refuser ou de différer la mise d’un ou de plusieurs séries d’amendements pourrait être considérée comme une atteinte potentielle à la dynamique du « level playing field », en ce sens qu’à l’échelle internationale, cela aurait pour conséquence de mettre en concurrence des législations nationales appliquant des versions différentes de la convention, plus ou moins exigeantes. En réalité, deux arguments viennent relativiser cette crainte. D’une part, sur les premières séries d’amendements, très peu d’Etats ont utilisé cette faculté (Curaçao pour les amendements de 2014 ; le Portugal pour les amendements de 2016 ; la France, la Nouvelle-Calédonie, les Pays-Bas, Curaçao, le Portugal et la Slovénie pour les amendements de 2018). D’autre part, afin de ne prendre aucun risque dans le cadre des inspections conduites par l’Etat du port, les armateurs privilégient une mise en œuvre standard et complète de la convention telle qu’amendée.
Les premiers amendements de la MLC, 2006.
Les amendements, qui ont été adoptées en 2016 et 2018 ont permis des avancées significatives sur plusieurs sujets qui n’avaient pas pu être traités en 2006, lors de l’adoption de la convention notamment l’élimination du harcèlement et de l’intimidation à bord, la captivité des marins dans le cadre d’actes de piraterie.
La pandémie de COVID-19 a eu des effets dévastateurs dans le monde entier, sur la mobilité des travailleurs, en particulier sur les relèves et les changements d’équipage. Les transports terrestres et aériens étant suspendus, l’arrivée d’un nouvel équipage était impossible ou fort compliquée. De nombreux gens de mer se sont vus privés du droit d’être rapatriés après de nombreux mois passés à bord, et des cas d’épuisement physique et mental, d’anxiété, de maladie, voire de suicide, ont été signalés. Le Bureau International du Travail a adopté, le 7 avril 2020, une Note d’information indiquant que l’application de la Convention n’est pas suspendue, même s’il existe une situation exceptionnelle : « la prolongation de la période d’embarquement au-delà de onze mois ne peut pas être considérée comme une solution viable à la question du changement d’équipage ». Le 12 décembre 2020, une observation générale a été adoptée par la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (CEARC), qui a fait le lien entre la prorogation forcée des contrats des gens de mer maintenus à bord et l’interdiction du travail forcé. La référence à la durée maximale d’embarquement de 11 mois a suscité de nombreuses critiques chez les armateurs. En effet, le fondement textuel est fragile, reposant plus sur des commentaires répétés de la CEACR plus que sur une disposition explicite de la convention. En avril 2022, la Commission tripartie spéciale a adopté huit séries amendements, sur les douze qui ont été discutées. Ces amendements, approuvés par la Conférence Internationale du Travail (CIT) en juin 2022, sont entrées en vigueur le 23 décembre 2024.
Les amendements de 2025.
Ils concernent la prévention et la lutte contre la violence et le harcèlement, les permissions à terre, le rapatriement, la reconnaissance des gens de mer en tant de « travailleurs clés », la procédure de plainte à bord.
Dès le 3 août 2022, les membres du bureau de la Commission tripartie spéciale (STC) avaient adopté une déclaration sur la garantie d’un environnement de travail sûr à bord des navires, où les gens de mer peuvent vivre sans craindre la discrimination ni les violences physiques ou mentales. Celle-ci mentionne la convention n° 190 sur la violence et le harcèlement, de 2019 et son approche de la discrimination doit être comprise très largement. Elle renvoie non seulement au genre et à l’orientation sexuelle, mais également aux facteurs plus classiques que sont « la race, la couleur, la religion, l'opinion politique, l'ascendance nationale ou l'origine sociale », conformément à la définition contenue dans l’article 1 de la Convention n° 111 concernant la discrimination (emploi et profession) de 1958.
En matière de recrutement et de placement des gens de mer, (Règle 1.4), un nouveau paragraphe est inséré concernant les Directives organisationnelles et opérationnelles, qui imposent de prendre en compte les mesures pour prévenir et combattre la violence et le harcèlement, y compris le harcèlement sexuel, l’intimidation et les agressions sexuelles, dans les processus de recrutement et de placement (Règle 1.4, Principe directeur B1.4.1). La protection de la santé et de la sécurité, la prévention des accidents doivent prendre en compte les dispositions de la convention n° 190 de l’OIT sur la violence et le harcèlement de 2019, dont les définitions sont reprises (Règle 4.3, Norme A4.3). Il en découle des obligations pesant sur les armateurs : l’adoption et la mise en œuvre des politiques et des mesures appropriées, et vis-à-vis des gens de mer. Des mécanismes et procédures de signalement sûrs, équitables et efficaces doivent être mis en place.
Les dispositions visées à la norme A4.3 portant sur la protection de la santé et de la sécurité et la prévention des accidents doivent prendre en compte également la recommandation (n° 206) sur la violence et le harcèlement, 2019, et la version la plus récente du document Guidance on eliminating shipboard harassment and bullying (Orientations sur l’élimination du harcèlement et de l’intimidation à bord des navires) publiée conjointement par l’International Chamber of Shipping et la Fédération internationale des ouvriers du transport (Principe directeur B4.3.1. Cette thématique est introduite dans les enquêtes après accident du travail ou lésions de maladies professionnelles : Principe directeur B4.3.6).
Il convient de fournir des équipements de protection individuelle nécessaire dans des tailles appropriées pour les des gens de mer, des produits d’hygiène menstruelle, appropriés et suffisants, et leurs dispositifs d’élimination devraient être à la disposition des gens de mer (Règle 3.1, Logement et loisirs - Principe directeur B3.1.10 – Articles de literie, ustensiles de table et articles divers).
Les escales sont de plus en plus brèves ; les confinements, liés à la pandémie de Covid, ont laissé des traces ; certains armements ont perdu des marins dans un port étranger, notamment au Canada, ont été sanctionnés pour introduction illicite de main d’œuvre étrangères et à titre de prévention, ont interdit ou très fortement limité les descentes à terre en escale. Les Seamens Clubs constatent ces freins : les visites à bord peuvent intervenir, avec l’accord du capitaine, en dehors des opérations commerciales, les visites aux foyers sont parfois entravées. Une nouvelle Norme est introduite afin de faciliter ces permissions à terre, à condition que les formalités requises soient achevées et que les pouvoirs publics n’aient pas de raison de refuser l’autorisation de descendre à terre pour des motifs de santé publique, de sécurité ou de sûreté publique ou d’ordre public (Norme A2.4.2 – Permission à terre). Un visa ou un permis spécial ne peut être exigé. Un refus de descente à terre doit être motivé. Les armateurs doivent accorder aux gens de mer qui ne sont pas en service une permission à terre dès l’arrivée du navire dans le port, excepté lorsque les autorités concernées de l’État du port ont interdit ou restreint le débarquement, ou pour des raisons opérationnelles ou de sécurité. Le principe directeur B2.4.5 concerne la facilitation de la permission à terre, qui participe du bien-être des gens de mer et des conditions de travail décentes. Ces descentes à terre s’effectuent dans le cadre du code ISPS de l’OMI, concernant la sûreté maritime et portuaire. Tout Etat du port devrait s’assurer que le personnel dans ses ports et ses terminaux reçoive des informations et des formations adaptées sur les droits des gens de mer, y compris le droit à des permissions à terre (Guide pour la sûreté maritime et Code ISPS, OMI, Londres, 2023).
Compte tenu de l’ampleur du trafic de stupéfiants, du rôle stratégique du transport maritime et des ports, il devient assez fréquent que des marins soient suspectés, ainsi que des dockers. « En cas de gens de mer incarcérés ou consignés dans un port étranger, leur situation doit être traitée rapidement, conformément à la procédure légale, et les intéressés doivent bénéficier de la protection consulaire appropriée, compte dûment tenu des directives OIT/OMI sur le traitement équitable des gens de mer détenus pour des infractions présumées (Principe directeur B4.4.6 – Gens de mer dans un port étranger).
Les Etats devraient devrait désigner et reconnaître les gens de mer comme étant des travailleurs clés et prendre des mesures appropriées pour faciliter leurs déplacements en toute sécurité, lorsqu'ils se déplacent en lien avec leur emploi ou leur travail, notamment, mais non exclusivement, l’accès à la permission à terre, le rapatriement, la relève des équipages et les soins médicaux à terre (Principe directeur B2.5.2 – Travailleurs clés). Lorsque des marins restent trop longtemps à bord, avec trop de contacts avec leur famille, mais aussi, lors de leurs escales, avec des humains, tels les bénévoles des Seamens Clubs, ils considèrent leur navire comme un prison, « a jail » et l’expriment ainsi.
Les amendements adoptés concernent aussi les enquêtes après accident du travail maritime, afin de prendre en compte les principes établis dans le Code de normes internationales et de pratiques recommandées applicables à une enquête de sécurité sur un accident de mer ou un incident de mer de l’OMI, et des recommandations qui figurent dans les directives OIT/OMI sur le traitement équitable des gens de mer en cas d’accident de mer et les directives OIT/OMI sur le traitement équitable des gens de mer détenus pour des infractions présumées (Norme A5.1.6 – Accidents maritimes). Concernant les rapatriements, les frais incombant à l’armateur sont précisés (Norme A2.5.1 § 3– Rapatriement) ; le marin devrait être rémunéré depuis son débarquement jusqu’à son arrivée à destination de rapatriement, si cela est prévu par la législation nationale ou par les conventions collectives (Principe directeur B2.5.1 § 3– Conditions des droits au rapatriement). Trop de rapatriements se font à la charge du marin, au motif que les conditions juridiques ne sont pas remplies, quel que soit l’épuisement du marin par ailleurs. Tout recours est impraticable.
Concernant les soins médicaux à bord et à terre, tout navire dispose d’une pharmacie de bord, de matériel médical et d’un guide médical ; les navires n’ayant pas de médecin à bord doivent compter au moins un marin chargé des soins médicaux et de l’administration des médicaments dans le cadre de ses fonctions normales ou un marin apte à administrer les premiers secours. Les gens de mer chargés d’assurer les soins médicaux à bord et qui ne sont pas médecins doivent avoir suivi avec succès une formation aux soins médicaux qui soit conforme aux dispositions de la Convention internationale de 1978 sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille, STCW (Norme A4.1 – Soins médicaux à bord des navires et à terre). Cette formation aux soins médicaux devrait être fondée sur le contenu des éditions les plus récentes de l’International Medical Guide for Seafarers and Fishers, du Guide médical international de bord, du Guide des soins médicaux d’urgence à donner en cas d’accidents dus à des marchandises dangereuses, du Document destiné à servir de guide – Guide international de formation maritime, et de la partie médicale du Code international des signaux ainsi que des guides nationaux analogues (Principe directeur B4.1.1 § 2 – Fourniture de soins médicaux). De la même façon l’International Medical Guide for Seafarers and Fishers,est introduit dans les références concernant la pharmacie de bord et son contenu, ainsi que le matériel médical et le guide médical à conserver à bord.
La procédure de plainte à bord, qui relève de la responsabilité de l’Etat du pavillon, est précisée. Elles peuvent porter sur toute question qui constitue, selon les gens de mer, une infraction aux prescriptions de la convention, y compris les droits des gens de mer. Ces procédures doivent viser à ce que le litige à l’origine de la plainte soit réglé au niveau le plus bas possible. Cependant, dans tous les cas, les gens de mer ont le droit de porter plainte directement auprès du capitaine et, s’ils le jugent nécessaire, auprès du personnel à terre approprié ou d’autorités extérieures appropriées. La référence au personnel à terre approprié est nouvelle (Norme A5.1.5 § 2 – Procédures de plainte à bord). Les gens de mer ont le droit d’être accompagnés ou représentés pendant la procédure de plainte à bord et des mesures seront prévues pour prévenir la victimisation de gens de mer ayant porté plainte. Le terme « victimisation » désigne tout acte malveillant, quel qu’en soit l’auteur, à l’encontre des plaignants, des victimes, des témoins et des lanceurs d’alerte. Il est dûment tenu compte des situations dans lesquelles une plainte est manifestement abusive ou calomnieuse (Norme A5.1.5 § 3 – Procédures de plainte à bord). Le texte originel de la Convention ne protégeait que le marin plaignant. Il est aussi inséré un nouveau paragraphe : « Des mesures appropriées doivent être prises, à chaque étape, pour garantir la confidentialité des plaintes déposées par les gens de mer (Norme A5.1.5 § 5 – Procédures de plainte à bord). Ces plaintes à bord sont malaisées, quand les gens de mer sont précaires, quand les services des armements sont élémentaires. Paraissent un peu plus fréquentes, les procédures de plainte à terre qui relèvent de la compétence des administrations de l’Etat du port, intervenant notamment dans le cadre des Memorandums of Understanding régionaux, tels le Mou de Paris ou de Tokyo (Règle 5.2.2 – Procédures de traitement à terre des plaintes des gens de mer). Ces administrations, affaires maritimes ou inspection du travail, sont fréquemment alertés par les Seamens Clubs, dont les membres visitent les équipages à bord ou les accueillent dans un foyer, mais aussi par les inspecteurs ITF, rattachés tant à un syndicat national de marins qu’à la Fédération Internationale des ouvriers des Transports, dont le siège est à Londres. International Seafarers Welfare and Assistance Network (ISWAN) est un réseau d’organisations et d’entreprises internationales engagées dans l’amélioration du bien-être des marins. L'ISWAN fournit un service d'assistance téléphonique gratuit, des ressources pédagogiques, des fonds de secours et une aide humanitaire (International Seafarers Welfare and Assistance Network, https://www.iswan.org.uk/).
A. Charbonneau et P. Chaumette, « Premiers amendements à la convention du travail maritime de l’OIT de 2006 - Garanties financières en matière d’abandon des gens de mer et de responsabilité des armateurs en cas de décès ou de lésions corporelles », Dr. social, Dalloz, 2014, pp. 802-810.
P. Chaumette, "Amendements 2018 de la Convention du Travail Maritime de l'OIT de 2006 sur la captivité des marins, en raison d'acte de piraterie ou de violence en mer" Neptunus e-revue, Université de Nantes, Vol. 25, 2019/4, www.cdmo.univ-nantes.fr
O. Fotinopoulou-Basurko, "Las enmiendas MLC 2018 y la proteccion laboral de la gente de mar ante la pirateria y el robo a mano armada", in O. Fotinopoulou-Basurko (dir.), X.M. Carril Vasquez (coord.), Pirateria maritimima y gente de mar: mas alla de la ficcion, Atelier Libros Juridicos, Barcelona, 2020, pp. 103-134.
A. Charbonneau et P. Chaumette, « Gens de mer et Covid 19 », Droit Maritime Français, DMF 2020, n° 827, « Droit maritime et Covid-19 », pp. 677-694.
A. Charbonneau, « L’impact de la crise de la Covid-19 sur les équipages : Regards sur l’action de l’Organisation Internationale du Travail », DMF 2021, n° 833, pp. 195-204.
C. Percher, A. Charbonneau et P. Chaumette, « La convention du travail maritime de l’OIT et ses amendements : la protection effective des gens de mer par temps de crises », Dr. soc. 2023, n° 1, pp. 29-37.