La formation maritime aux Philippines n’est pas au niveau de la Convention STCW

20/01/2023

Les formations maritimes aux Philippines sont nombreuses et diverses, mais l’évaluation se fait globalement et les déficiences vis-à-vis de la Convention STCW de l’OMI sont durables. C'est un problème ancien, constaté depuis 2006. Ces évaluations relèvent de l’Organisation Maritime Internationale, mais aussi de l’Union européenne.  

Audits et liste blanche de l’OMI.

En vertu de la règle I/7 du chapitre I de la Convention STCW révisée, les Parties sont tenues de fournir à l'OMI des renseignements détaillés concernant les mesures administratives prises pour assurer le respect de la Convention, l'enseignement et la formation, les méthodes de délivrance des brevets et d'autres facteurs ayant trait à la mise en œuvre. Ces renseignements sont passés en revue par des groupes de personnes compétentes, désignées par les Parties à la Convention STCW, qui font état de leurs conclusions au Secrétaire général de l'OMI, lequel soumet à son tour un rapport au Comité de la sécurité maritime (MSC) sur les Parties qui donnent pleinement effet aux dispositions de la Convention. Le MSC établit ensuite une « liste blanche » des Etats en conformité avec la Convention STCW. Il n’existe pas de « liste grise » ou de « liste noire », en raison de l’approche coopérative de l’OMI. Toutefois, ne pas être dans la liste blanche pêche considérablement sur l’employabilité des marins. L’OMI est passée d’audit facultatifs à des audits obligatoires en 2016. 75 audits facultatifs avaient été réalisés et analysés en 2016. Le Comité de la coopération technique a pour mission de fournie une assistance aux Etats afin de mieux rédiger leur législation nationale, de former leur administration maritime et les inspecteurs de l’Etat du pavillon. Les audits obligatoires doivent favoriser la mise en œuvre renforcée des instruments de l'OMI. 25 audits doivent être réalisés annuellement.  Les contrôles des navires par les Etats du port, dans le cadre des Memorandums of Understanding régionaux (MoU), tels les MoU de Paris ou de Tokyo, jouent aussi un rôle important dans ces évaluations internationales. Le Sous-comité de l'application des instruments de l'OMI réunit les États du pavillon, les États du port et les États côtiers afin qu'ils examinent les questions relatives à l'application, comme l'analyse des rapports récapitulatifs des synthèses d'audit du Programme d'audit de l'OMI. Il reçoit et analyse les données sur le contrôle des navires par l'État du port.

Inspections de l’Agence Européenne de Sécurité Maritime.

La construction d’un marché européen, comportant une libre circulation des travailleurs, dans l’intérêt d’abord des entreprises, a nécessité une reconnaissance mutuelle des diplômes, alors que les systèmes de formation et de certification restent nationaux. La reconnaissance mutuelle des brevets maritimes délivrés par les Etats membres de la Communauté européenne date de la directive 94/58/CE du Conseil du 22 novembre 1994 concernant le niveau minimal de formation des gens de mer. La directive 2001/25 du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001 porte sur les effectifs et qualifications minimales à bord des navires immatriculés dans un Etat membre de l’Union européenne. Elle abroge la directive 94/58/CE. Elle a fait entrer la convention STCW de l’OMI, révisée en 1995, dans le champ des contrôles de l’Etat du port (art. 20) : « Il est essentiel de veiller à ce que les gens de mer titulaires de brevets délivrés par des pays tiers et servant à bord de navires communautaires aient un niveau de qualification équivalent à celui qui est requis par la convention STCW ». Car il a fallu prendre en compte le caractère international du marché du travail maritime, l’emploi de marins non-européens à bord des navires des armements européens, immatriculés dans les registres internationaux des Etats membres ou leurs registres d’outre-mer. Depuis que la sécurité maritime est devenue une compétence de l’Union européenne, l’Agence Européenne de Sécurité Maritime (AESM-EMSA), créée en 2002 et installée à Lisbonne, participe à l’évaluation de la formation maritimes et de la qualité des administrations maritimes des Etats membres.

La directive 2001/25 a été remplacée par la directive 2008/106/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 concernant le niveau minimal de formation des gens de mer, modifiée par la directive 2012/35 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012, et est aujourd’hui le texte de référence. La directive 2008/106/CE a prévu un système centralisé pour la reconnaissance des titres des gens de mer délivrés par des pays tiers ; les amendements dits de Manille de 2010 de la Convention STCW, puis les amendements de 2015 (recueil IGF) et de 2016, navires à passagers et navires exploités dans les eaux polaires, ont été intégrés dans le droit de l’UE, par la directive 2019/1159 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019. Cette dernière directive a abrogé la directive 2005/45/CE concernant la reconnaissance mutuelle des brevets des gens de mer délivrés par les États membres, afin d’aligner cette reconnaissance sur les dispositions de la directive 2008/106 modifiée, qui se réfère à la convention STCW et à ses amendements. Le dernier texte est la directive (UE) 2022/993 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2022 concernant le niveau minimal de formation des gens de mer, qui consolide les modifications de la directive 2088/106.

La procédure de reconnaissance des brevets maritimes délivrés par des pays tiers, prévoyait un délai de 18 mois, qui est apparu très insuffisant ; la procédure nécessite une inspection du système de formation maritime par l'Agence européenne pour la sécurité maritime (AESM-EMSA), sise à Lisbonne. Si des correctifs sont demandés à l’Etat tiers, afin de se conformer au Code STCW, ce délai était trop court ; il a été porté à 24 mois et même étendu à 36 mois quand des modifications législatives s’imposent dans l’Etat tiers.

Quand un faible nombre de gens de mer provient d’un Etat tiers, la périodicité de l’évaluation est de dix ans, en principe. Si un Etat tiers n’a pas fourni de gens de mer à des navires battant pavillon d’Etats membres de l’UE pendant au moins 8 ans, une nouvelle évaluation s’impose. Sur la base de ces dispositions, la Commission européenne, à partir des inspections et évaluations de l'Agence européenne pour la sécurité maritime (AESM-EMSA), a reconnu les brevets maritimes délivrés par le Monténégro, l’Éthiopie, le Sultanat d’Oman, en 2017, les Fidji en 2018.

En 2010, avaient été reconnus les brevets maritimes délivrés par l’Algérie, Israël, le Sri Lanka, en 2011 par l’Equateur, l’Azerbaïdjan, le Maroc, le Cap Vert, le Bangladesh, en 2014, les brevets japonais ont été reconnus. La reconnaissance mutuelle avait été révoquée vis-à-vis de la Géorgie en 2010, puis a été rétablie en 2013, compte tenu des réformes entreprises, même s’il restait à moderniser les équipements. Une liste des pays tiers reconnus en ce qui concerne les systèmes de formation des gens de mer et de délivrance de leurs titres a été publiée le 8 août 2015 au JOUE n° C 261 du 8.8.2015, pp. 25–27.

En 2020, 317 236 marins au commerce étaient enregistrés dans le système d’information STCW de l’EMSA comme navigants dans la flotte européenne (hors Royaume-Uni). Parmi eux, 189 278 détenaient de brevets délivrés dans un pays de l’UE et 127 958 autres des brevets de pays tiers reconnus par l’UE. Derrière les Philippines, les marins non-européens les plus représentés sont les Ukrainiens (25 597), les Russes (17 313), les Indiens (11 231), les Turcs (6 091), les Britanniques (4 424) et les Chinois (1 920).

En France, la Décision ministérielle du 17 mai 2022 est relative à la liste des Etats dont les brevets conformes à la convention STCW sont reconnus par la France https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decision/2022/5/17/PRMM2221054S/jo/texte

 

Concernant les Philippines, dès 2006, l’AESM-EMSA avait émis des doutes sur la qualité de la formation maritime aux Philippines, laquelle est assurée uniquement par des écoles et académies privées sans que l’État alloue des moyens spécifiques pour leur permettre de remplir leur mission. La Commission européenne avait notifié aux Etats membres, le 27 novembre 2012, des manquements aux dispositions de la Convention STCW dans le système national de formation maritime. L’administration philippine n’effectuait pas de contrôles suffisants et l’indépendance des évaluateurs n’était pas garantie ; la principale école de formation, la plus ancienne avait une formation insuffisante, mais l’évaluation se fait globalement sur le système national de formation maritime, nullement école par école. Les efforts de modernisation intervenus en 2010 et 2011 sont insuffisants. Une nouvelle inspection de l’AESM-EMSA est intervenue en 2013, puis en 2020. Dans leur audit récent, les experts de l’Emsa avaient relevé un total de 13 lacunes et 23 griefs dans le système de formation maritime aux Philippines, portant essentiellement sur un manque d’équipements, mais aussi sur des référentiels d’enseignement insuffisants pour atteindre les requis de la convention internationale STCW.

Une délégation philippine s’est rendue le 13 décembre 2022 à Bruxelles pour rencontrer des représentants de l’International Chamber of shipping (ICS), du Conseil international des employeurs maritimes (IMEC) et de la Fédération internationale des travailleurs du transport (ITF). Les armateurs européens ne cachent pas leur inquiétude. Après cette rencontre, l’ICS, l’IMEC, l’ITF et les armateurs européens au travers de leur fédération (ECSA), ont créé le Comité consultatif international sur les affaires maritimes mondiales (IACGMA), censé épauler les Philippines pour leur permettre de résoudre le problème. La Commission européenne doit décider avant l’été, si elle accorde ou non la reconnaissance des diplômes pour les quelque 50 000 marins philippins employés à ce jour à bord des navires battant pavillon d’un des États membres de l’UE.

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