Convention du travail maritime (MLC 2006) et pandémie de Covid-19 (OIT-CEARC)

17/12/2020

La commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations (CEARC) de l'OIT prend note avec une profonde préoccupation des défis que posent les restrictions et les autres mesures prises par les gouvernements du monde entier pour endiguer la pandémie de COVID-19, ainsi que de leurs effets, pour ce qui concerne la protection des droits des gens de mer telle qu’énoncée dans la convention. La commission prend note également de la Note d’information sur les questions relatives au travail maritime et au coronavirus (COVID-19) élaborée par le Bureau pour apporter une réponse rapide aux questions concernant la mise en oeuvre de la convention, ainsi que de la Nouvelle déclaration du bureau de la Commission tripartite spéciale de la MLC, 2006, sur la maladie à coronavirus (COVID-19).   .http://www.obs-droits-marins.fr/...

 

La commission d'experts note que, d’après les informations fournies par l’ITF et l’ICS, des centaines de milliers de gens de mer (environ 400 000 d’après l’ITF) sont actuellement bloqués à bord et tout autant attendent à terre, ceux-ci ne pouvant ni les relever ni gagner leur vie. Cette situation s’est transformée en une crise humanitaire, et ce, malgré un niveau de dialogue social jusqu’alors inégalé entre les principaux acteurs du secteur maritime à l’échelle internationale et la forte coopération entre eux ainsi qu’avec nombre de gouvernements et d’institutions des Nations Unies, sous la direction de l’OIT et de l’OMI. 

La commission d'experts note avec une profonde préoccupation que, alors que les ports du monde entier continuent d’opérer sans interruption pendant la pandémie, il demeure extrêmement difficile pour les gens de mer – qui assurent un service clé de première ligne pour la société, plus de 90 pour cent du commerce mondial s’effectuant par voie maritime (notamment pour les denrées alimentaires, les médicaments et les fournitures médicales vitales) – de débarquer et de transiter par d’autres pays en vue de leur rapatriement.      


La commission d'experts note l’indication de l’ITF selon laquelle les États ayant ratifié la MLC, 2006, se retranchent derrière la notion de force majeure pour justifier leurs manquements à la convention. La MLC, 2006, est un instrument du travail complet à destination du secteur maritime, applicable à tous les pays l’ayant ratifié, et non une compilation de réglementations du travail à appliquer de façon sélective, si les circonstances le permettent et dans la mesure où elles le permettent. Au début de la pandémie, les États ayant ratifié la MLC, 2006, en leur qualité d’État du port, d’État du pavillon ou d’État fournisseur de main-d’oeuvre, pouvaient être confrontés à de véritables situations de force majeure qui les empêchaient matériellement de respecter des obligations qui leur incombent au titre de la convention. Toutefois, la commission ne peut que noter que plus de dix mois se sont écoulés depuis lors, ce qui constitue en toute objectivité un délai suffisant pour que de nouvelles modalités aient été étudiées et mises en place, conformément aux normes internationales du travail. On peut arguer de la force majeure pour une condition excluant l’illicéité du non-respect d’une obligation conventionnelle uniquement dans le cas d’événement(s) imprévu(s) et imprévisible(s) créant une impossibilité absolue et matérielle de s’acquitter de ladite obligation. En revanche, les cas dans lesquels il est plus difficile ou plus contraignant de respecter une obligation internationale ne constituent pas un cas de force majeure. La commission souligne que la notion de force majeure ne peut plus être invoquée dès lors qu’il existe des options permettant de respecter les dispositions de la MLC, 2006, même si cela est plus difficile ou plus contraignant, et prie instamment les États ayant ratifié la MLC, 2006, qui ne l’ont pas encore fait d’adopter toutes les mesures nécessaires sans délai afin de rétablir la protection des droits des gens de mer et de s’acquitter pleinement des obligations qui leur incombent au titre de la MLC, 2006.         .........


La commission encourage donc vivement les États ayant ratifié la MLC, 2006, qui ne l’ont pas encore fait de considérer sans délai, en leur qualité d’État du pavillon, d’État du port ou d’État fournisseur de main-d’oeuvre, que les gens de mer sont des travailleurs clés et d’établir dans la pratique les conséquences d’une telle qualification, afin de rétablir le respect des droits de ces personnes tels que consacrés dans la convention.                ........ 


La commission d'experts prend note du Cadre de protocoles recommandé visant à garantir la sécurité de la relève et du voyage des équipages pendant la pandémie de coronavirus (COVID-19) qui a été proposé par un vaste éventail d’associations internationales dotées du statut consultatif à l’OMI qui représentent le secteur des transports maritimes (MSC.1/Circ. 1636). L’Assemblée générale des Nations Unies, ainsi que le BIT et l’OMI, dans leurs résolutions, se réfèrent à la mise en oeuvre de ce cadre qui contient les orientations nécessaires pour garantir la sécurité de la relève et du voyage des équipages. La commission espère que les gouvernements se référeront à ces orientations quand ils adopteront les mesures nécessaires de façon urgente pour s’acquitter à nouveau des obligations qui leur incombent au titre de la MLC, 2006.           ........... 


La commission d'experts estime que ces éléments constituent une base suffisante pour conclure que les Membres, dans leur ensemble, ne respectent pas l’article I, paragraphe 2, de la MLC, 2006. La convention ne contient aucune disposition autorisant la suspension temporaire de l’application de ses dispositions en cas de crise, qu’elle soit sanitaire ou d’autre nature. En revanche, la commission estime que c’est précisément en temps de crise que la protection assurée par la MLC, 2006, prend tout son sens et que cet instrument doit être le plus scrupuleusement appliqué, d’autant plus que la convention ne contient que des normes minimales relatives à la protection des droits des gens de mer. Par conséquent, la commission prie instamment les gouvernements d’adopter les mesures nécessaires, en consultation avec les organisations de gens de mer et d’armateurs concernées, pour renforcer leur coopération mutuelle afin d’assurer l’application effective et le plein respect de la convention, a fortiori pendant la pandémie de COVID-19, là où cet instrument est le plus nécessaire.        ......... 


La commission d'experts observe qu’il va sans dire que l’inaction même de certains États Membres au moment de garantir la relève d’équipage ou de permettre aux gens de mer de rentrer chez eux fait que ces personnes n’ont d’autre choix que de rester à bord et crée des circonstances les maintenant pendant des mois dans des situations pouvant relever du travail forcé. Par conséquent, la commission prie tous les États ayant ratifié la MLC, 2006, en leur qualité d’État du pavillon, d’État du port ou d’État fournisseur de main-d’oeuvre, d’adopter les mesures nécessaires ou de renforcer celles en vigueur sans délai afin de garantir qu’aucun marin n’est forcé de continuer à travailler aux termes d’arrangements contractuels prorogés sans qu’il ait pu exprimer son consentement libre, formel et éclairé.    


La MLC, 2006, contient un système solide destiné à garantir l’application de ses dispositions. En vertu de la Règle 5.1.1, paragraphe 1, tout Membre s’acquitte des responsabilités qui lui incombent en vertu de la convention à l’égard des navires qui battent son pavillon. Se fondant sur les informations disponibles, la commission prie instamment tous les États qui ont ratifié la MLC, 2006, et qui ont des responsabilités en tant qu’État du pavillon d’adopter les mesures nécessaires ou de renforcer celles en vigueur sans délai, y compris en augmentant la fréquence des inspections, si nécessaire, afin de garantir que les navires qui battent leur pavillon respectent pleinement les dispositions de la convention. En particulier, la commission prie les États du pavillon qui ne l’ont pas encore fait de veiller à ce que : 


a) toute prolongation du contrat d’engagement maritime se fasse avec le consentement librement exprimé du marin (Règle 2.1, paragraphe 2); 

b) aucun honoraire ni autre frais ne soit facturé aux gens de mer directement ou indirectement, en tout ou en partie, pour le recrutement ou le placement, ainsi que pour toute obligation de quarantaine préalable à l’embarquement, en dehors des coûts autorisés en application de la Norme A1.4, paragraphe 5; 

c) l’interdiction de la renonciation au congé payé annuel minimum soit strictement appliquée, sauf dans les cas prévus par l’autorité compétente (Règle 2.4 et Norme A2.4, paragraphe 3); 

d) des permissions à terre soient accordées aux gens de mer dans un souci de santé et de bien-être, pour autant qu’elles soient compatibles avec les exigences pratiques de leurs fonctions et dans le strict respect de toute mesure de santé publique applicable à la population locale (Règle 2.4, paragraphe 2); 

e) les gens de mer soient rapatriés sans frais pour eux-mêmes dans les cas et dans les conditions spécifiées dans la convention, dans le strict respect de la durée maximale par défaut de la période d’embarquement découlant des dispositions de la convention (11 mois) (Règle 2.5 et Règle 2.4); 

f) les navires battant leur pavillon soient dotés d’un nombre suffisant de gens de mer employés à bord pour assurer la sécurité et l’efficience de l’exploitation du navire, l’attention nécessaire étant accordée à la sûreté, quelles que soient les circonstances, compte tenu du souci d’éviter une trop grande fatigue aux gens de mer ainsi que de la nature et des conditions particulières du voyage (Règle 2.7); 

g) les gens de mer qui travaillent sur des navires battant leur pavillon soient couverts par des mesures appropriées pour la protection de leur santé et aient accès à des soins médicaux rapides et adéquats pendant la durée de leur service à bord, y compris à la vaccination (Règle 4.1); 

h) les gens de mer travaillant à bord des navires qui battent leur pavillon bénéficient d’un système de protection de la santé au travail et vivent, travaillent et se forment à bord des navires dans un environnement sûr et sain (Règle 4.3); 

i) les gens de mer aient accès à des installations de bien-être à terre, s’il en existe, dans le strict respect de toute mesure de santé publique applicable à la population locale (Règle 4.4); 

j) des mesures soient prises pour soutenir le bien-être des gens de mer à bord des navires, en particulier durant les périodes étendues de service à bord, y compris les arrangements pour contacter la famille et les proches.                ........ 


Au titre de la Règle 5.2.1, paragraphe 1, chaque navire étranger faisant escale dans le port d’un Membre est susceptible d’être inspecté pour vérifier la conformité aux prescriptions de la convention (y compris concernant les droits des gens de mer) relatives aux conditions de travail et de vie des gens de mer à bord du navire. La commission a souligné le rôle complémentaire fondamental que le contrôle de l’État du port joue dans l’application de la convention. Elle attire en particulier l’attention des gouvernements sur l’obligation de prendre des mesures pour veiller à ce qu’un navire ne prenne pas la mer tant que toute non-conformité n’aura pas été rectifiée ou que le fonctionnaire autorisé n’aura pas accepté un plan visant à la rectifier, dans les situations prévues aux termes de la Norme A5.2.1. À cet égard, elle estime que l’extrême fatigue des gens de mer qui sont à bord depuis plus de onze mois (durée maximale par défaut de la période d’embarquement) constitue non seulement une situation de toute évidence dangereuse pour la santé et la sécurité des gens de mer concernés mais également pose un sérieux danger pour la sécurité de la navigation de manière générale. À cet égard, elle renvoie à la Norme A2.7, paragraphe 2, qui vise à faire en sorte que les gens de mer travaillent à bord de navires dotés d’effectifs suffisants pour assurer la sécurité, l’efficience et la sûreté de l’exploitation des navires et qui souligne la nécessité d’éviter ou de restreindre la durée du travail excessive afin d’assurer un repos suffisant et de limiter la fatigue. 


Tout en prenant note des difficultés que les autorités de contrôle de l’État du port rencontrent au moment d’effectuer des inspections pendant la pandémie, la commission prie les États ayant ratifié la convention auxquels incombent des responsabilités en tant qu’État du port et qui ne l’ont pas encore fait d’adopter les mesures nécessaires sans délai afin de s’acquitter pleinement des obligations qui leur incombent au titre de la convention. En particulier, la commission prie les gouvernements ayant des responsabilités d’État du port de: 

a) permettre aux gens de mer d’exercer leur droit au congé à terre conformément à la Règle 2.4, paragraphe 2, dans le strict respect de toute mesure de santé publique applicable à la population locale; 

b) faciliter le rapatriement des gens de mer qui servent sur des navires faisant escale dans leurs ports ou traversant leurs eaux territoriales ou intérieures (Norme A2.5.1, paragraphe 7); 

c) permettre et faciliter le remplacement de gens de mer qui ont débarqué et, par conséquent, garantir les effectifs de sécurité des navires en traitant rapidement et sans discrimination le dossier des nouvelles recrues qui entrent sur leur territoire exclusivement pour regagner leur navire (Règle A2.5.1, paragraphe 7); 

d) s’assurer que les gens de mer travaillant à bord de navires qui se trouvent sur leur territoire ont accès à leurs installations médicales à terre s’ils requièrent des soins médicaux immédiats (Règle 4.1); 

e) s’abstenir d’adopter des mesures nationales restrictives ou des réglementations portuaires qui pourraient faire obstacle à une planification préalable raisonnable de l’itinéraire des navires, ou de les modifier sans cesse, et éviter d’appliquer la convention et d’en contrôler le respect d’une manière qui ne serait pas en harmonie avec les pratiques des autres États contractants. 


La commission note que les États fournisseurs de main-d’oeuvre doivent jouer un rôle essentiel dans la coopération avec les États du pavillon et les États du port afin de garantir le respect des droits des gens de mer. La commission prie les gouvernements qui ont des responsabilités en matière de fourniture de main-d’oeuvre qui ne l’ont pas encore fait d’adopter immédiatement les mesures nécessaires pour faire en sorte que les installations et services nécessaires soient mis en place en ce qui concerne le transport, le dépistage et la quarantaine afin d’accueillir les gens de mer actuellement à l’étranger et de permettre aux autres gens de mer de rejoindre leur navire.        .... 


https://www.ilo.org/global/standards/maritime-labour-convention/WCMS_764385/lang--fr/index.htm



La commission d’experts (CEARC) de l'OIT a été créée en 1926, afin d’examiner les rapports gouvernementaux, en nombre croissant, sur les conventions ratifiées. La commission formule deux sortes de commentaires à l’endroit des gouvernements: des observations et des demandes directes. Les observations contiennent les commentaires sur les questions fondamentales que soulève l’application d’une convention particulière par un État. Ces observations sont publiées dans le rapport annuel de la commission.  

Faut-il ajouter que cette commission d'experts de l'OIT, commission indépendante, n'est pas une juridiction susceptible de sanctionner les Etats du fait des manquements aux conventions qu'ils ont ratifiées ? 

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